« Stratégie amoureuse dans les premières lettres de Stendhal à Matilde Dembowski : l'échec de l'intime »
Résumé
Beyle rencontre Matilde Viscontini Dembowski, Milanaise aux idées libérales liée aux Carbonari, le 4 mars 1818, à Milan. Jusqu'en octobre de la même année, on ne trouve trace de cette passion naissante que dans des notes laconiques, consignées dans des marginales ou des manuscrits de travail. Entre le mois d'octobre 1818 1 et le début de janvier 1821, s'engage une correspondance dont seuls nous restent les brouillons des onze lettres envoyées à Matilde. « Furent-elles jamais envoyées ? 2 » se demande Michel Crouzet dans sa biographie de Stendhal. Il semble que oui puisque Stendhal met en scène les réponses de Matilde et en analyse le contenu dans les marges de ses propres lettres. Cette correspondance est donc à plus d'un titre lacunaire : d'une part, on n'a pas les lettres telles qu'elles furent acheminées et reçues par la correspondante de Stendhal mais seulement des brouillons de celles-ci-on ne sait donc rien des éventuelles modifications survenues au moment de l'envoi-, d'autre part, on ne possède aucune des réponses de la destinataire sinon de maigres bribes recopiées ou commentées par Stendhal dans ses propres lettres qui laissent à penser que cette passion ne fut pas partagée 3. Nous avons alors affaire à un cas de « dialogue à une voix 4 » (Jacques Chouillet) qui rend difficile de cerner l'identité de Matilde sur laquelle par ailleurs très peu de documents subsistent. C'est donc à un portrait construit par ces lettres qu'il faut se fier pour dessiner les contours de celle qui fut l'objet de « cette passion devenue la grande affaire de [l]a vie 5 » de Stendhal dans ces années 1818-1819. Mais au delà de l'anecdote biographique qui donne naissance à cette correspondance, c'est le dispositif dans lequel elle est prise qui va d'abord m'intéresser. Sur un échange épistolaire si réduit et si resserré dans le temps, comment peut-on isoler un corpus de « premières lettres » ? La tentation est en effet grande de considérer toutes ces lettres comme premières. Mais, en y regardant de plus près, on perçoit, dans cette correspondance, trois phases dont j'examinerai attentivement les deux premières, c'est-à-dire les six premières lettres, pour voir comment le dernier bloc de lettres se détache des deux autres dont on peut déceler l'imparfaite l'unité. On distingue ainsi un mouvement ascendant, un élan des quatre premières lettres jusqu'à la crise qui rompt la communication amoureuse et dont les cinquième et sixième lettres font le récit. Parler des premières lettres impose donc de définir au préalable une limite, une frontière, de s'intéresser à la structure qui articule une 1 Voir Journal, dans OEuvres intimes, t. II, V. Del Litto éd., Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1982, p. 27 à la date du 1er octobre 1818 où est faite la première mention d'une lettre : « I st October, a letter à 8h. Réponse. » 2 Michel Crouzet, Stendhal ou M. Moi-même, Paris, Flammarion, coll. « Biographies Flammarion », 1999, p. 290. 3 De plus, certaines lettres d'Henri à Matilde ont été perdues et seules quelques marginales qui accompagnaient ces lettres nous sont parvenues. Cette correspondance ne s'établit donc pas sur le mode de l'échange, ni amoureux, ni épistolaire. 4 Jacques Chouillet, Denis Diderot et Sophie Volland : un dialogue à une voix, Paris, Champion, 1986. 5 Correspondance, t. I, V. Del Litto et H. Martineau éds. Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1962, p. 966, désormais C suivi du numéro du tome correspondant à la référence.
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