Shakespeare romancé : le succès en demi-teinte de la maison Hogarth
Résumé
En 2013, la maison d’édition Hogarth Press lance un projet ambitieux d’adaptation des pièces de Shakespeare en version romanesque. Le but est que trois années plus tard, à l’occasion du 400ème anniversaire de la mort du dramaturge, un ensemble d’écrivains anglo-saxons renommés en aient produit une nouvelle version. La tâche est risquée si l’on conçoit que le répertoire shakespearien est avant tout destiné à la scène et que, depuis le 20ème siècle, de nombreuses adaptations sont soit des réécritures théâtrales conçues par de grands auteurs internationaux (Barker, Bond, Müller, Stoppard, Bene, Chaurette, Py, Durif, et bien d’autres), soit des scénarii destinés au 7ème Art. Le propre de ce répertoire est en effet d’inclure le jeu d’acteur, le visuel du décor et l’action en direct, des éléments que le roman n’expose, quant à lui, que dans l’acte intime, solitaire et silencieux de la lecture.
La première à se lancer dans l’aventure Hogarth est Jeannette Winterson qui baptise sa version du Conte d’hiver (avec lequel elle dit nouer un rapport particulier depuis le début de sa carrière) The Gap of Time (2015). Restructurant l’intrigue originale en bouleversant l’ordre des épisodes, elle parvient à donner un sens pleinement contemporain à cette œuvre dite « problématique » où le surnaturel se mêle aux questions de mœurs. Le défi de l’adaptation romanesque est donc a priori réussi si l’on en croit les critiques ; les « cover versions » de La Mégère apprivoisée, La Tempête, Le Marchand de Venise, Macbeth, Le Roi Lear, Othello et Hamlet sont respectivement programmées.
Certaines de ces pièces—comme Hamlet que Gillian Flynn devait composer—ne verront cependant jamais le jour. Et au sein des 37 pièces attribuées au dramaturge élisabéthain, moins de dix seront produites, parfois bien après la date anniversaire, car rattrapées par d’autres formes de réécritures, notamment en littérature jeunesse, mangas et pour le petit écran.
Néanmoins, l’analyse de ces réécritures présente un intérêt indéniable auprès des Shakespeariens au 21ème siècle car ces dernières années, nous abordons souvent l’œuvre-source par le prisme de ses réinventions, y trouvant des clefs de lecture novatrices susceptibles de révéler des sens jusqu’alors cachés. Des auteurs comme Linda Huntcheon, Margaret Jane Kidnie, Sujata Iyengar, Julie Sanders ou Alan C. Dessen parmi d’autres, ont ainsi proposé des approches théoriques et des grilles de lecture nous permettant de renouveler notre compréhension de cette œuvre.
Dans cette communication, en m’appuyant sur quelques-uns des romans de la série « Hogath Shakespeare », je me propose de revenir sur les atouts et les revers de cette forme d’adaptation et, à l’aune des apports théoriques auxquels il est fait allusion ci-dessus, d’en questionner les enjeux futurs.