La métaphore dans le raisonnement collectif et la pensée critique
Résumé
Notre contribution interroge les relations entre langage et cognition chez l’enfant et l’adolescent en prenant pour objet la métaphore dans le raisonnement collectif et l’émergence de la pensée critique. Elle se base sur une analyse multimodale de discours générés par la pratique de « Communautés de Recherche Philosophique », désormais « CRP ».
Initiée par le philosophe Mathew Lipman (1995) et soutenue par l’UNESCO, la CRP est une pratique discursive orale au cours de laquelle les participants dialoguent à partir d'un questionnement philosophique et apprennent à penser « par » et « pour » eux-mêmes, et avec les autres (Daniel, 2015 ; Tozzi, 2007). Au plan discursif, la CRP comporte des activités de problématisation (questionner une assomption et ses présupposés), conceptualisation (penser et clarifier des concepts) et argumentation (étayer chaque point de vue grâce au raisonnement, et par des arguments). La coprésence de ces trois opérations fait de la CRP une pratique d’oral réflexif (Tozzi, 2001).
Comme l’analogie, la métaphore est un puissant outil cognitif permettant de penser les objets abstraits, relations, processus qui nous échappent (Fauconnier, 1997 ; Hofstadter & Sander, 2013 ; Johnson, 1987 ; Lakoff & Johnson, 1980). Mais si son importance a bien été relevée dans des domaines comme le développement cognitif, l’acquisition du langage ou l’apprentissage, on ne connaît rien de son rôle dans le raisonnement collectif et l’émergence d’une pensée critique. Par ailleurs, dans la CRP comme dans d’autres genres oraux, on relève des formes gestuelles de métaphore (Cienki & Müller, 2008 ; Colletta, 2004 ; Colletta & Pellenq, 2009) qui, comme les métaphores verbales, permettent l’expression de l’abstrait.
L’étude dont nous souhaitons présenter les résultats vise à identifier les métaphores verbales et gestuelles employées dans des contextes de CRP, et à estimer dans quelle mesure et comment ces formes constituent des ressources réflexives collectives. A cette fin, nous avons exploité le corpus « Philosophèmes » (http://philosophemes.univ-bpclermont.fr/accueil) composé d’enregistrements vidéo de CRP en contexte scolaire, et en avons extrait 4 discussions menées dans des classes de CM2 primaire et 5ème collège. Les 4 thèmes abordés sont l’existence, l’argent, les règles de vie en société, et le devoir.
Une première analyse a consisté, en partant des typologies classiques (Fontanier, 1977 ; Kerbrat-Orecchioni, 1986) mais aussi des approches plus récentes de la métaphore (Gentner et al., 2001 ; Hofstadter & Sander, 2013 ; Lakoff & Johnson, 1985, 1999), à établir un relevé des formes métaphoriques présentes et à en décrire les contextes d’emploi privilégiés (argumentation, conceptualisation, phase finale des séquences explicatives ou justificatives). La seconde analyse en interroge la résonnance au fil des échanges et teste l’hypothèse selon laquelle l’insertion d’une métaphore verbale ou gestuelle dans un énoncé en rend plus saillant le contenu informationnel, qui est ensuite davantage repris, reformulé et questionné.
Ces premiers résultats sur les usages de la métaphore en contexte de CRP montrent que celle-ci, tout en permettant la généralisation du propos, indexe des usages réflexifs du langage et la mise en œuvre d’une pensée raisonnée et critique chez les élèves.