L’invention de la caméra Eclair 16 : Du direct au synchrone
Résumé
Cet article documente et reconsidère la « révolution » du cinéma direct à partir d'un lieu commun : une invention technique, la caméra légère et synchrone, aurait permis de faire évoluer les formes documentaires. Deux caméras sont principalement concernées en France : la KMT qui est restée un prototype et l'Éclair 16 produite à partir de 1963. En décrivant l'histoire de leurs conceptions, puis en détaillant les problèmes techniques que pose l'asservissement des moteurs de la caméra avec celui d'un magnétophone afin d'obtenir le synchronisme de l'image et du son, il apparaît que ce sont les cinéastes qui ont précédés la technique, et non le contraire. Ils ont su, sans en avoir les moyens, créer un sentiment de synchronisme avec les situations et l'époque par une série d'approches, de tentatives et de tâtonnements. La technique a suivi, et il faudra dix ans de mise au point pour obtenir un dispositif fiable. Ce n'est donc pas une invention technique qui a rendu possible « le cinéma direct », mais la volonté des cinéastes portée par des enjeux esthétiques et humanistes. En outre, cet article s'attache à distinguer l'invention formelle et celle des techniques de tournage, de l'invention technique elle-même. En effet, l'insonorisation ne pouvait être obtenues que par un processus de fabrication industrielle, et Éclair a lancé l'étude et la production d'une caméra de reportage parce que la télévision représentait un nouveau marché. Cela permet de relativiser la participation des cinéastes à la conception directe de l'objet technique sans leur enlever le mérite d'avoir rêvé et réalisé ces films sans en avoir encore les outils. En inventant la technique par la pratique, les tentatives des cinéastes pour s'approcher du « direct » représentent une puissance formelle qu'on ne peut pas réduire à l'invention d'un nouvel outil.