La mise en scène de la passion par les professionnels de la politique
Résumé
La politique contemporaine entretient avec les passions une relation ambivalente. D'un côté, il est évident que la passion constitue un des ressorts de l'engagement, et que c'est grâce à elle que des individus s'impliquent dans l'action politique en s'émancipant d'un calcul d'intérêt étroit qui, comme l'a montré Olson, les inciterait plutôt à l'attentisme. Mais d'un autre côté, il semble non moins évident que la passion peut constituer une force de nature à déstabiliser les institutions, à dépacifier la société. La démocratie représentative suppose un moyen terme, optimum d'indifférence disait Philippe Braud (1991). Elle demande des citoyens minimalement passionnés par la politique, au point d'accepter de faire vivre et de célébrer les grandes échéances (par exemple électorales), de perpétuer les rites (voyage des chefs d'Etat), bref de croire en la politique. Sans un minimum de passion pour la politique, la démocratie représentative sombre faute de légitimité. A l'inverse, et parce qu'elle organise une division du travail politique très forte, cette même démocratie participative s'accommode assez bien du déclin des passions politiques. Elle en suppose en tous cas la régulation (Ansart, 1983, 1992 ; Braud, 2004). Que les citoyens ordinaires laissent faire les professionnels, qu'ils vaquent à leurs affaires et laissent agir ces derniers : la démocratie représentative attend des citoyens qu'ils fixent leurs passions sur d'autres terrains que la politique : l'argent (Hirschman, 1980), l'amour, la vie privée, le loisir... Qu'il y ait des passionnés en nombre suffisant pour rendre possible le jeu démocratique, pour nourrir la vie politique, mais que le plus grand nombre soit acquis à l'idée que la vraie vie est ailleurs, que la politique ne mérite pas qu'on s'y engage passionnément.
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