, Peu à peu, l'épistolier devient écrivain de son histoire et métamorphose la forme brute des événements en récit, il est entraîné vers le lieu autre de l'écriture. En effet, dans les années qui suivent la fin de cette brève correspondance, il rebondit de manière dynamique à l'échec sentimental : « La santé morale me revenant dans l'été de 1822, je songeais à faire imprimer un livre intitulé L'Amour, écrit au crayon à Milan en me promenant et songeant à Métilde » note-t-il dans Souvenirs d'égotisme en 1832 16 . Pour passer de la vie à l'écriture, de la lettre (décevante) à la fiction (libérante) Stendhal oscille entre deux types de reconstitution : une fiction de quelques pages, appelée « Roman », rédigée hâtivement le 4 novembre 1819, première esquisse romanesque où on reconnaît un amant malheureux et une dame sévère et un « essai d'idéologie », De l'Amour (1822), écrit en « songeant à Métilde ». Mais ces deux tentatives ne sont pas seulement des transpositions de la scène vécue à la scène écrite. On peut reconnaître les strates du palimpseste, depuis les lettres écrites à Matilde jusqu'aux fragments spéculatifs de De l'Amour. Stendhal met progressivement à distance les événements malheureux à défaut de pouvoir les oublier (« J'étais au désespoir [?], se souvient-il dans les Souvenirs d'égotisme, Il fallait mettre une colline entre moi et la vue du Dôme de Milan 17 ») et les métamorphose en vérités universelles. La source biographique y est très reconnaissable mais elle a pris une autre dimension, à la fois plus générale et plus symbolique. Par ce déplacement, Stendhal échappe à la rumination obsessionnelle de l'événement achevé mais continue à vivre celui-ci sous une autre forme, sous un autre mode ; ce faisant, il le perpétue autrement que dans le réel impossible. Une fois la conscience prise que jamais plus Matilde ne reviendra sur sa décision, qu'il achève le début de cette correspondance qui se poursuivra de manière épisodique et moins intense jusqu'en 1821 15 . Conclusion : Mais l'histoire ne s'achève pas pour autant : on peut même dire que

, On peut lire par exemple dans le projet de lettre du 3 janvier 1821 (la toute dernière lettre de Henri à Matilde dont nous ayons la trace) ces mots plus refroidis et plus cérémonieux : « To send the 3 janvier 1821

. Madame, Trouveriez-vous inconvenant que j'osasse vous demander la permission de vous voir un quart d'heure une de ces soirées ? Je me sens accablé par la mélancolie. Mon amitié sentira tout le prix d'une marque de bonté dont le public ne s'occupera certainement pas

. Souvenirs-d'égotisme, . Dans-oeuvres-intimes, and O. Ii, Il faut savoir que Matilde est morte en 1825. On notera que Stendhal avait rebaptisé Matilde en « Métilde, p.512

. Ibid, On peut alors se demander si, dès le départ, le futur romancier 18 , déçu de ses échecs d'écriture théâtrale et conscient que l'avenir est à ceux qui écrivent des romans, n'a pas conçu cette correspondance comme un réservoir d'anecdotes romanesques. Cette relation amoureuse qui, dès la première lettre, ressemble à une défaite serait alors le signe de la conquête d'une nouvelle forme d'écriture, p.474